Lectio divina – Sœur Isabelle Donegani

Jean 15, 9-17

v.9  Ainsi que [1] le Père [2] m’a aimé, [3]  moi aussi je [4] vous [5] ai aimés ; [6]

            demeurez dans [7] l’amour, le mien. [8]

v.10  Si vous gardez [9] mes commandements [10] vous demeurerez dans mon amour,

   ainsi que moi j’ai gardé [11] les commandements de mon Père et je demeure dans son amour.

v.11 Je vous ai parlé [12] ces choses  pour que la joie, la mienne, [13] soit en vous

et que votre joie soit accomplie. [14

v.12 Tel est le commandement, le mien : [15]  

que [16] vous (vous) aimiez  [17] les uns les autres [18] ainsi que je vous ai aimés. [19

v.13 Personne n’a de plus grand que cet amour :

[20] que celui qui [21] (dé)pose [22] sa vie pour ses amis. [23]

v.14  Vous, vous êtes mes amis si vous faites [24] ce que moi je vous commande. [25]

v.15  Je ne vous appelle plus esclaves, [26] parce que l’esclave ne sait pas

[27] ce que fait son seigneur ; [28] mais vous je vous ai appelés amis,

[29] parce que tout ce que j’ai entendu de mon Père, [30] je vous (l’)ai fait connaître. [31]

v.16 (Ce n’est) pas vous (qui) m’avez choisi, [32] mais (c’est) moi (qui) vous ai choisis

et qui vous ai posés [33] pour que vous alliez, vous, [34] et portiez du fruit [35] et que votre fruit demeure, [36

pour que, quoi que [37] vous demandiez au Père [38] en mon nom, [39] il vous le donne. [40]

v.17 Je vous commande cela : [41] que vous vous aimiez les uns les autres.

Bibliographie choisie

Dagron Alain, A L’épreuve des évangiles. Lectures des dimanches, Année B, Bayard, Paris, 2005, pp. 81-86 (Jn 15,1-8) ; pp. 85-88 (Jn 15,9-17) ; pp. 89-92 (Jn 17,11b-19) ; pp. 93-95 (Jn 15,26-27 ; 16,12-15).

Delorme Jean & Thériault Jean-Yves, Le testament spirituel de Jésus (Jn 13-17),

  1. Jésus lave les pieds de ses disciples et fonde la fraternité nouvelle (Jn 13), Sémiotique & Bible 178 (juin 2020) 3-27.
  2. « Je m’en vais et je viens vers vous » (Jn 14), Sémiotique & Bible 180 (décembre 2020) 23-59.

III. Demeurer en Jésus dans le monde (Jn 15,1–16,4), Sémiotique & Bible 182 (juin 2021) 33-57.

Calloud jean & – Genuyt François, L’évangile de Jean. Analyse sémiotique, Centre Thomas More – CADIR, Lyon. Tome 1 (1989 : Jn 1–6) ; Tome 2 (1987 : Jn 7–12) ; Tome 3 (1985 : Jn 13–17) ; Tome 4 (1991 : Jn 18–21).

“Je vous ai parlé cela ces choses pour que la joie, la mienne, soit en vous

Et que votre joie soit accomplie”.

Notes

[1] Kathôs (= kata hôs) : “comme, de même que ; selon que, en tant que”. Notons le balancement : kathôs…, kagôAvec le NT interlinéaire grec – français (Société biblique française – Bibli’o, Villiers-le-Bel, 2015), nous le rendons par “ainsi que…, moi aussi”. Car la nuance y est presque causale : “parce que, du fait que”. Ici, liminairement, c’est “le Père” qui est placé en position d’origine, de “causalité” relationnelle. En cette place d’acteur premier, son agir passé est de “m’avoir aimé”, dit “je”.

Un deuxième kathôs apparaîtra dans cette séquence, au v. 10, mais cette fois associé au “je” qui désormais se positionne comme acteur et qualifie ainsi son agir : “avoir gardé les commandements de son Père”. Notons le passage du verbe “aimer” au verbe “garder les commandements de”.

Nous retrouverons un troisième kathôs au v. 12, toujours associé au même locuteur “je”. Bien que nouveau sujet du même verbe liminaire “aimer”, il a désormais pour complément “vous”. La relation est devenue triangulaire.

[2] Ho patêr : “le père”. 414 usages dans le NT, très souvent dans le QE que Jésus nomme très souvent Dieu « Père » (109x) et se désigne lui-même comme « le Fils » (30x). Dans notre texte, nous trouverons “mon Père” aux vv. 10 et 15 puis à nouveau “le Père” au v. 16.

[3] Agapân : “aimer d’amour gratuit, d’origine divine”. Ici à l’aoriste. C’est l’action du Père envers “je”, puis/donc Dans ce v.9, d’abord à l’agir du Père, puis à celui de “je”, dans cette sous-séquence, au v.10 et au v.12, cette fois associés à un acte de “je”.

[4] Kagô = kai egô : “et moi, moi aussi”. Notons que le locuteur “je” demeure discret dans son auto- nomination ou désignation : il ne s’attribue pour nom que “mon nom” (v. 16), ne s’autorise d’aucun titre pour justifier ou légitimer ses paroles et injonctions.

Au fil du discours d’adieu, le narrateur l’a appelé “Jésus” dès 13,1, dans un verset qui déjà porte tout en germe : “… Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout” (voir encore 13,21.23 ; 13,31…). Ensuite, lui-même reconnaît le bien-fondé d’être appelé “Maître et Seigneur” (13,13) et se désigne lui-même, “Moi Je Suis” (13,19) aussi comme “le Fils de l’homme” (13,31). Simon Pierre s’adresse à lui comme “Seigneur” (13,36). Jésus répond à Thomas : “Moi je suis le chemin et la vérité et la vie” (14,6). Philippe s’adresse à nouveau à lui comme “Seigneur” (14,8)

[5] “Humas” : “vous”, à l’accusatif.

[6] Agapein aussi. L’acte de “moi je” est “comme” celui du “Père”. Au v. 12, nous retrouverons ce “je vous ai aimés”, mais introduite par kathôs (“comme”), l’acte du “je” devenant causal, modal, pour “vous” : “tel est mon commandement”. L’affirmation reviendra au v. 12, dans un mouvement alors qui reliera “je” à “vous” par un “comme” qui fonde l’origine en ce “je” de la possibilité pour “vous” de réaliser cela.

[7] Menein en + D : “demeurer dans”. C’est ici une injonction, à l’impératif, présent. Au verset suivant (v. 10), le même verbe reviendra deux fois : d’abord au futur quand le “je” qui porte le discours s’adresse à “vous” ; puis au présent, quand le “je” qui parle évoque son propre agir. Nous le retrouverons vers la fin de notre séquence, au v. 16, et son sujet sera alors… “votre fruit” !

[8] Hê agapê hê emê : litt. “dans l’amour, le mien” (traduction gardée par la Bible d’Osty). A comprendre autant comme l’amour du “je” pour “vous” que de l’amour de “vous” pour lui. Le même substantif hê agapê revient au v. 10, accompagné du G (en têi agapêi mou), que nous rendons par “dans mon amour”. Nous faisons ainsi sentir la différence entre les deux formes grammaticales.

[9] Têreô : “garder, observer,” ici au subjonctif (ean… têrêsête). Ici “garder”, précédé d’un “si” fait de cette action la condition nécessaire du “demeurer dans”, ce qui le rend possible. Dans le même v. 10, le verbe revient, mais au passé (aoriste grec) : le “je” qui parle a lui aussi, lui d’abord (“comme”) “gardé”.

[10] Hê entolê : “le commandement”. Au v. 10, le mot revient deux fois. L’action hypothétisée pour “vous” de “garder mes commandements” est subséquente d’un premier “garder” qu’a opéré (au passé et durablement, voir note suivante) le “je” : “garder les commandements de mon Père” est posé comme principe ou cause (cf. à nouveau le “comme”) :  vous // mes commandements ; moi // les commandements de mon Père. Notons l’usage du pluriel ici dans les deux cas.

[11]  Tereô, “garder”, est ici au parfait de durée (têtêrêka) : littéralement “j’ai gardé et continue de garder”.

[12] Lalein : “parler”, ici encore au parfait de durée (lelalêka). Litt. : “je vous ai parlé et continue de vous parler cela”. Le verbe signifie plusieurs choses : I. Prononcer des sons inarticulés : 1. en parlant des animaux (singes, chiens, cigales) ; 2. en parlant de sons (de la flûte, harpe, tambour) ; 3. en parlant de bruits ou de sons répercutés. II. Par suite : babiller (langage du tout petit enfant), bavarder (en mauvaise part : barjaquer), par opposition à legein. III. Par extension : en général, pour l’homme (par opposition aux animaux), dans un sens proche de legein “dire” : 1. parler, converser avec, s’entretenir ; 2. chanter (lalala…). C’est le parler le plus basique (“Qu’est-ce que tu me racontes ?”, “De quoi tu parles ?”). Etant presque une onomatopée, lalein, qui souligne le côté sonore de la parole, est plus proche du signifiant que du signifié. Nous soulignons cette marque d’énonciation en traduisant par “parler” et non “dire” (legein), qui le plus souvent s’accompagne d’un énoncé, et cela même si lalein et legein peuvent s’utiliser indifféremment. Ainsi déjà, par exemple, en 14,10 : “Ne crois-tu pas que moi (je suis) dans le Père et (que) le Père est en moi ? Les paroles (ta rêmata) que moi je vous dis (legein), je ne les parle pas (lalein) de moi-même, mais (c’est) le Père qui demeure en moi (qui) fait ses œuvres”. Dans notre séquence, nous le retrouverons en 15,11 (“Je vous ai parlé ces choses”), mais l’expression reviendra aussi plus loin en 15,20 (“la parole que je vous ai parlée”) ; 16,1 (“Je vous ai parlé ces choses, pour que vous ne soyez pas scandalisés”) ; 16,4 : “Mais je vous ai parlé ces choses, pour que, quand viendra leur heure, vous vous souveniez que moi je vous les ai dites. Ces choses, je vous ne les ai pas dites dès le commencement, parce que j’étais avec vous” ; etc.

[13] Hê chara hê emê : “la joie, la mienne”. Nous traduisons encore comme Osty notamment. Sur la joie VS tristesse, affliction, cf. plus loin 16,6 ; 16,20-22 et surtout 16,24 (même verbe plêrôo, mais au parfait), qui fait pendant à 16,6 : « la tristesse a rempli (et remplit : parfait passif) votre cœur. Cf. aussi 16,33 (paix VS affliction).

[14] Plêrôo : “rendre plein, emplir, porter à plénitude, être complet, accomplir”, ici au subjonctif aoriste passif). Le verbe est celui utilisé, dans nos chapitres aussi, pour exprimer la réalisation des promesses du Premier Testament (cf. 15,25 ; etc.). Il reviendra, toujours associée à la joie, avec l’auxiliaire “être”, en 16,24 : “afin que votre joie soit en plénitude”.

[15] Hê entolê hê emê : “le commandement, le mien”. Du pluriel de “mes commandements” (v. 10), passage au singulier. La parole qui ordonne s’unifie et spécifie dans cet unique commandement. Nous trouverons bientôt (v. 14) le verbe correspondant, “commander”, à la première personne, et c’est par lui que le “je” achèvera son énoncé (v. 17).

[16] Ina + D : “que”, sorte d’explicative, qui déploie le contenu du commandement.

[17] Agapan : “aimer”. Soulignons que le même verbe qualifie autant l’amour “horizontal”, entre “vous“, que l’amour du Père et “mon amour”, dit le “je”. D’une unique source circule le même amour.

[18] Allêloi : “les autres, les uns les autres” (cf. allos, -ê, -on : “un autre ; autre, d’autre sorte, différent”). Dans le collectif pluriel du “vous”, il y a place pour de l’altérité. Non pas s’aimer “les uns les uns”, en cercles fermés, mais dans l’ouverture aux “autres”. Cf. 13,34-35, précisément à propos du commandement qualifié de “nouveau” : l’amour des frères tient une grande place dans la littérature johannique (cf. 1 Jn 3,11.23 ; 4,10.19-21 ; 2 Jn 5).

[19]Je vous ai aimés” : voir déjà v. 9. Ici le “comme” en fait la source du commandement de l’amour mutuel du “aimer les uns les autres”.

[20] Meizon tautê agapê : “de plus grand que cet amour”. Le comparatif de supériorité meizon permet de qualifier “cet amour” (qui bientôt va être explicité) comme ne pouvant trouver “de plus grand”. Il s’agit donc de l’amour “le plus grand”.

[21] Ina tis : pour ina ho tis : “que celui qui”. Le grec nous fait passer de “pas de plus grand amour que celui-ci” au sujet qui fait l’action. D’abord pour dénier à quiconque ce pouvoir : “personne” d’autre que, pourrait-on dire. Et ce “plus grand amour” est réalisé par l’agir défini ensuite, envers ceux désignés par le mot “amis” (et non “aimés”

[22] Tithêmi : “poser, déposer”, dans le contexte au sens de “se dessaisir” (TOB), “livrer” (Osty), “donner”. Nous trouver le verbe en ce sens déjà pour qualifier l’agir du “berger, le bon” auquel Jésus s’identifie en 10,11 et qui “(dé)pose sa vie pour ses brebis”. L’expression “déposer sa vie” (litt. sa psuchê, “son âme”) est propre à la tradition johannique dans le NT (cf. 10,15 : “Je dépose ma vie pour mes brebis ; 10,17 : “voilà pourquoi le Père m’aime : parce que moi je dépose ma vie pour à nouveau la prendre” ; 10,18 : “personne ne me l’enlève, mais moi, je la dépose de moi-même” ; 13,37.38 : à Simon Pierre qui imagine “déposer sa vie” pour Jésus, celui-ci répond : “Tu déposerais ta vie pour moi !”, lui annonçant solennellement qu’un cop ne chanterait pas qu’il ne l’aie renié trois fois ; 15,13 que nous lisons ; et 1 Jn 3,16 : “En cela nous avons connu l’amour : c’est que Celui-là a déposé sa vie pour nous”.

Le verbe peut prendre aussi un sens concret (13, 4 : Jésus, avant de laver les pieds de ses disciples, “dépose ses vêtements”). Nous le retrouverons au v. 16, dans une acception qu’il vaudra la peine de regarder de près : “poser, établir, instituer”.

Hê psuchê autou : “son âme”, au sens de “sa vie”.

[23] Hô philos, -ê, -on : “ami.e”. Ce masculin est appelé “neutre” en linguistique : il balise toute la gamme des genres grammaticaux, du masculin au féminin en passant par le neutre). Le mot revient au v. 14 (vous, mes amis), au v. 15 (amis). Le récit introduit ici un amour d’amitié. Le verbe correspondant, philein, est l’un des verbes grecs pour dire “aimer” : agapan (aimer d’un amour, s’originant en Dieu) ; philein, aimer d’amitié, réciproque ; erân, aimer de désir. Nous remarquons donc que s’il est question de s’aimer (agapan) les uns les autres (l’amour du Père et de “je” se partageant aussi entre “vous”, quand il s’agit de désigner ceux pour qui quelqu’un dépose sa vie, le texte par d’“amis” (philoi). “La vie déposée” pour d’autres se vit entre “amis”.

[24] Ean poiête : “si vous faites”. Du verbe poein : “faire”, très présent dans toute la littérature johannique. Il peut s’agir autant d’un “faire” pragmatique (cf. 2,5 : “ Faites tout ce qu’il vous dira”), que de “faire les œuvres” comme une participation à la parole qui crée. La poiêsis, la poétique se dit de la parole qui fait l’univers. Le verbe poien a été choisi par les LXX pour traduire le barah hébreu : “créer”. Vous “êtes” mes amis, si vous “faites les paroles” que je vous commande, pourrait-on dire. Plus loin il sera d’ailleurs parlé du “faire” du “seigneur” (kurios, le maître étant s’opposant à “esclave”) : ce ne peut être un “faire” servile.

[25] En-tellomai : “commander, donner instruction, mission, ordonner”. De tellô : “faire naître, produire, accomplir, exécuter”. Nous avons déjà rencontré le substantif “commandement”, deux fois au pluriel au v. 10, puis au singulier au v. 12. C’est à ce commandement singulier du v. 12 que renvoie le “je” qui ici dit “commander. Même sens plus loin au v. 17.

[26] Legein + attribut personnel : “appeler, dénommer” (donner un nom, une qualification). Le verbe revient deux fois en ce verset.

Ho doulos : “l’esclave”. Souvent, quand Jésus parle de ses “serviteurs”, c’est un autre substantif ho diakonos qui est utilisé (et son verbe, diakoneô). Ainsi par exemple à Cana : “Sa mère dit aux serviteurs/servants : « Faites tout ce qu’il vous dira ». … les serviteurs/servants savaient, eux qui avaient puisé l’eau (2,2.9) ; ou à Béthanie : “Marthe servait” (12,2) ; ou, peu avant nos chapitres, à Jérusalem, quand Jésus dit à ses disciples questionnés par des Grecs montés à la ville pour la fête de la Pâque : “Si quelqu’un me sert, qu’il m’accompagne, et où je suis, moi, là sera aussi mon serviteur ; si quelqu’un me sert, le Père l’honorera” (12,26).

Notons donc que l’opposition entre “esclaves” et “amis” se joue sur un plan de temporalité qui oppose le présent et passé : “ne plus vous appeler esclaves” vs “vous avoir appelés amis”. Le pourquoi, la cause de ce changement est indiquée de suite.

[27] Ouk oida : “ne pas savoir”, au parfait présent (oiden). Il existe deux verbes de la connaissance : oida, qui indique un savoir de “vision” (orân), et ginôskein, qui se rapporte à un savoir plus pragmatique (apprendre à connaître).  Oida reviendra v. 21.

[28] Ti poiei ho kurios autou : “ce que fait son seigneur/maître” (ho kurios). Etre nommés “esclaves” est ainsi associé à une ignorance portant sur l’agir du maître.

[29] Legein : “dire, appeler”, ici au parfait de durée (eirêka : je vous ai appelés et continue de vous appeler).

[30] Akouein para + G : “entendre de qq”. En opposition au “faire”, l’entendre. Sur les 430 usages du verbe dans le NT, nous en trouvons

– quelques-uns dans le discours d’adieu (14,24, dans la réponse de Jésus à Judas : “23 Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera, et nous viendrons vers lui et nous ferons chez lui notre demeure. 24 Celui qui ne m’aime pas ne garde pas mes paroles, et la parole que vous entendez n’est pas de moi, mais du Père qui m’a envoyé”, avec akouô, mais attribué à “vous”).

Voir déjà et comparer 14,10 : “Les paroles que moi je vous dis, ce n’est pas de moi-même que je les dis ; c’est le Père demeurant en moi qui fait ses œuvres” (sans mention d’un akouô, mais avec lien des œuvres faites avec la parole prononcée : ce qu’il leur dit vient du Père demeurant en lui et y faisant ses œuvres) ; 7,16 : “Mon enseignement n’est pas le mien, mais de Celui qui m’a envoyé” (sans “entendre” non plus) ;

– déjà au chapitre 8 : 8,26 : “… Celui qui m’a envoyé est vrai, et moi, c’est de ce que j’ai entendu de lui que je parle au monde” (avec “entendre”) ; 8,28 : “Jésus leur dit donc : Quand vous aurez élevé le Fils de l’homme, alors vous connaîtrez que Moi Je Suis, et que de moi-même je ne fais rien, mais ce que m’a enseigné le Père, c’est cela que je dis” (sans “entendre”, mais un faire qui est un dire, et qui provient du Père ; 8,40 : “… vous cherchez à me tuer, moi, un homme qui vous ai dit la vérité que j’ai entendue de Dieu” (avec entendre la vérité, venant de Dieu).

– puis en 12,49 : “Car moi, ce n’est pas de moi-même que j’ai parlé, mais c’est Celui qui m’a envoyé, le Père, qui m’a commandé lui-même ce que je devais dire et parler” (sans mention d’akouô) ;

– puis en 15,15 (notre texte) 

16,13 : “Quand il viendra, celui-là, l’Esprit de vérité, il vous conduira vers la vérité totale ; car il ne parlera pas de lui-même, mais il dira tout ce qu’il entendra, et il vous annoncera ce qui doit venir” (l’Esprit, comme Jésus, ne dira que ce qu’il entendra).

[31] Gnôrizein : “faire connaître”, à l’aoriste. La cause fit de s’énoncer ici :

plus maintenant vs avant oui              +          esclaves vs amis 

car       à l’entendre de “je” de (ce qui dit) son Père

            a succédé un “faire connaître” de “je” à “vous”.

A une généralité d’opposition et de séparation, dans un “faire” succède une relation de parole et d’écoute entre deux sujets, “je” et “son” Père, un échange paternel et filial.

[32] Ouk humeis me exelexasthe : “pas vous qui m’avez choisi”. Verbe ek-legomai + acc. : choisir, trier, élire qq”. 22 usages dans le NT, dont 5 dans le QE : en 6,70 et 13,18 puis 3x ici, en Jn 15,16.16.18.

[33] Tithêmi : “poser, placer”, ici au sens d’“établir, instituer”. Voir déjà 15,13b. Faut-il y voir un sens différent, ou tenter de nommer et décrire ce qu’il y a de profondément commun entre ces deux usages ? Etre établis/institués, pour les disciples d’un Maître et Seigneur qui reste si discret sur le don à venir de sa vie (v. 13 : “que celui qui dépose sa vie…”), se fonde-t-il sur une mystérieuse “déposition de vie” sans laquelle rien n’est vivant. Alors, le don de soi devient condition intrinsèquement nécessaire à un véritable ministère et à toute mission : partir (qui est dit ensuite) s’entendrait, pour comme le Maître, d’un “mourir” (je vais = à la croix, au tombeau, à la résurrection) nécessaire au “je viens vers vous”. Théologie de la mission et du ministère radicalement “christiques” dès lors, d’un Christ qui a donné sa vie pour ses amis. Et d’amis qui donnent leur vie pour qu’un départ advienne en fructification vive, qui demeure…

[34] Hina humeis hupagête : hup-agô : “aller, partir (d’un point vers un autre), vers le bas.

Agô : “conduire, aller” (14,30 : “allons d’ici = partons) + préfixe hupo : sous, humblement. Ici au subjonctif.

Hup-agô : I. transitif : 1. amener sous, livrer qq ; amener par des voies secrètes ou détournées, amener par surprise, par ruse ; 3. Mener en-dessous ; 4. Mener à l’écart, emmener hors de ; 5. Laisser aller en dessous, faire évacuer par en bas ; II. Intransitif :  1. se retirer : s’éloigner discrètement, sans bruit ; se retirer pas à pas ; 2. s’affaisser, s’accroupir ; 3. S’avancer peu à peu. Moyen : 1. soumettre à sa puissance ; 2. amener insensiblement à soi ; 3. Amener à soi, d’où : égarer, séduire ; 4. Suggérer pour soi, insinuer ou conseiller dans son propre intérêt.

Sur les 79 usages dans le NT, 32 apparaissent dans le QE, surtout dans nos chapitres : 12x dans le discours d’adieu. Ainsi déjà 12,11.35 ; puis 13,3.33.36.36 ; 14,4.5.28 ; 15,16 (ici) et 16,5.5.10.17.

  • 13,3 : Jésus… sachant que le Père lui a tout donné dans les mains, et qu’il est sorti de Dieu et qu’il s’en va vers Dieu…”
  • 13,36.36: “Simon Pierre lui dit : Seigneur, où t’en vas-tu ? Jésus répondit : Où je m’en vais, maintenant tu ne peux m’accompagner ; tu m’accompagneras plus tard”.

Avec cette réponse, excessive, du tout tout-de-suite de Pierre : 37 “Seigneur, pourquoi ne puis-je t’accompagner à présent ? Je déposerais ma vie pour toi ! 38 Jésus répond : “Tu déposerais ta vie pour moi ! Amen amen je te dis : Le coq ne chantera pas que tu ne m’aies renié trois fois”.

  • 14,4.5: “… et où je vais vous savez le chemin ? 5 Thomas lui dit : “Seigneur, nous ne savons pas où tu vas ; comment saurions-nous le chemin ! 6 Jésus lui dit : “Moi je suis le chemin et la vérité et la vie. Personne ne vient vers le Père que par moi”
  • 14,30 : “Debout ! allons d’ici !”
  • 15,16 : Notre texte…
  • 16,5.5.10.17: “Maintenant je m’en vais vers Celui qui m’a envoyé, et aucun d’entre vous ne m’interroge : Où t’en vas-tu ?” 6 Mais parce que je vous ai dit cela, la tristesse a rempli votre cœur. 7 Cependant moi je vous dis la vérité : Mieux vaut pour vous que moi je m’en aille, car si je ne m’en vais pas, le Paraclet ne viendra pas vers vous ; mais si je pars, je vous l’enverrai… 10 confondre à propos de justice, parce que je m’en vais vers le Père, et que vous ne m’apercevrez plus ; … 17 “Quelques-uns de ses disciples se dirent donc entre eux : Qu’est-ce qu’il nous dit là : Un peu et vous… et : Je m’en vais vers le Père ?

Le mouvement d’aller, de partir conjugue le retour au Père et passage à travers la mort, avec la disparition et l’absence qui va livrer les disciples, et la première communauté johannique à un désarroi et une tristesse terribles (cf. aussi Lc 24 !).

Nous retrouvons les verbes de mouvement présents surtout en 14,5 (hup-agein) et 14,7 (ap-erchomai). Les deux ont même sens : “partir, s’en aller”. Up-agein, plus tardif, appartient davantage au style parlé, voire familier (cf. déjà Jésus aux Juifs : 7,33 ; 8,21). Erchomai : “venir” décrit le mouvement inverse.

[35] Karpon pherein : “porter du fruit”. C’est le thème de tout le début du chapitre 15, les vv. 1 à 8, autour de la métaphore de la vigne. On y trouvait d’abord une négation, “ne pas porter du fruit” (15,2), qui appelle une première taille du vigneron, “mon Père”, dit Jésus 815,2). “Porter fruit” nécessite de “demeurer dans la vigne” (15,4), “demeurer en moi”, précise Jésus. Mais le Père ne s’en contente pas : une seconde taille des sarments portant fruit leur permetde “porter du fruit plus abondant” (15,5). La purification (taille, émondage) est l’œuvre d’abord de “la parole que je vous ai parlé” (15,3), et le “demeurer en moi” s’associe à un “que mes paroles demeurent en vous” pour que “demandez ce que vous voudrez, et cela adviendra pour vous” (15,7). “Porter du fruit plus abondant” et “devenir mes disciples” est ainsi “ce qui a glorifié mon Père”, dit Jésus (15,8).

[36] To karpos humôn : “votre fruit”. 66 usages dans le NT, dont 10 dans le QE : en 4,36, et puis dans nos chapitres : 12,24 ; 15,2.2.2.4.5.8.16.16. Après le retour de la figure du “porter fruit”, l’apparition du “fruit”, de “votre fruit”. On pense à “votre joie”, accomplie du fait de “je vous ai parlé cela pour que ma joie soit en vous” (v. 11).

Désormais, le souhait de “je” est que votre fruit “demeure”. Le verbe insistant en 15,1-8 était une figure clé des vv. 9-10 : au v. 9, telle une injonction (“demeurez dans l’amour, le mien) et au v. 10 (2x : “vous demeurez dans son amour… comme… je demeure dans son amour”) réapparaît lui aussi ici, conjointement avec la figure de la fructification. Une insistance sur la durée se fait jour. Pas sans que que l’injonction ne soit entendue et gardée : “Demeurez en moi et moi en vous” (15,4). sarment demeure dans la vigne, “vous en moi et moi en vous”, rappelons-le ! “Séparés de moi”, sans moi, “vous ne pouvez rien faire” (15,5).

[37] Ina ho ti an + subjonctif : “pour que QUOI QUE”. Plusieurs Bibles traduisent : “pour que TOUT ce que” (Osty), “si bien que TOUT” (TOB). Sr Jeanne d’Arc a raison d’être plus prudente : “Ainsi ce que…”. Car pareille visée totalisante ne peut s’entendre que dans l’articulation avec les paroles qui précèdent. Il s’agit moins de “TOUT” que de l’indifférence du contenu de la demande, si “demeurer en moi et moi en vous” est actué, “garder mes commandements” aussi, “faire ce que je vous commande” de même, dans l’écoute, à travers “je” (Jésus), des paroles qui du Père atteste l’amour, et de “je” l’amour le plus grand : se dessaisir de sa vie pour ses amis. La demande s’adresse alors “à mon Père” (de “vous” à lui), dans l’écoute de ce “choix” opéré par “je” sur “vous”, choix sans vouloir ni cause autre que “l’amour dont je vous ai aimés”, et cet établissement en la déposition de soi en l’amour du Père et celui de “je”, le Fils. “Demander” alors, c’est inscrire sa parole dans un “je m’en vais vers toi, Père de Jésus”, dans l’offrande du “sarment sec qui ne porte pas de fruit”, la fin de l’esclavage et l’ignorance de l’agir fructificateur du Père, pour plus de fruit, plus de vie. C’est la destinée du grain de blé :

12,23-26 : Jésus, répondant à Philippe et André venus à lui au nom des Grecs qui voulaient “voir Jésus”

“Amen amen je vous dit : si le grain de blé tombé en terre ne meurt, il demeure seul. Mais s’il meurt, il porte du fruit abondant. Qui aime sa vie la perd. Qui hait sa vie en ce monde la gardera pour une vie éternelle. Si quelqu’un me sert, qu’il m’accompagne ! et où je suis, moi, là aussi mon serviteur sera. Qui me sert, le Père l’honorera”.

[38] Aiteô tina ti : “demander qch à qq”, ici au subjonctif aoriste. Voir déjà la figure de la demande (15,7, et déjà 14,13-14, puis bientôt 16,23). 

[39] En tôi onomati mou : “en mon nom”. Dans l’absence, c’est encore par le nom, la médiation du Nom, que toute parole sera parlée vers le Père et entendue de lui, dans l’échange d’un désir communiant au désir du Père. C’est la fin de l’Apocalypse, quand, au “Viens Seigneur Jésus” répond le “Oui je viens” de l’Epoux à l’Eglise.

[40] Didômi : “donner”, au subjonctif aoriste second. Le mouvement d’absolue libération et totale obéissance qui porte la parole de “je”, le Fils du Père, tout est don. Comparer 15,7 : “cela adviendra pour vous”, telle la survenue d’une naissance.

[41] Nous l’avons souligné : cette insistance fait inclusion avec le “tel est mon commandement” du v. 12, répétant l’injonction du “aimez-vous les uns les autres”. Avec cette différence que désormais, le “comme je vous ai aimés” du v. 12 n’est plus nécessaire. Totalement passé dans le désir du Père que “je” à “fait connaître” à “vous”, les disciples du Maître et Seigneur qui s’en va entendent résonner en eux la libre et invite du v. 13 : “Personne ne possède un amour plus grand que celui de déposer sa vie pour ses amis” (traduction de J. DELEBECQUE, Evangile de Jean, p. 121).