Le vitrail de la Passion à Guenguat

La Passion

A une dizaine de kilomètres de Quimper, l’église de Guenguat offre des vitraux de belle facture, qui valent le déplacement. Nous regarderons la maîtresse vitre, de la fin du XVIe siècle, qui représente une passion. Sa particularité est qu’elle est construite à partir de la scène de la crucifixion, qui occupe la majeure partie de la composition.

Le vitrail utilise magnifiquement les couleurs. Le fond rouge fait ressortir les personnages tout en créant une atmosphère de recueillement. La composition est rigoureuse.

passion

Les lancettes extérieures représentent chacune deux scènes superposées.

A gauche, Jésus portant sa croix et recouvert d’une tunique violette, est suivi par une femme. En dessous, Jésus se tient derrière un arbre. La marque du clou dans sa main suggère qu’il s’agit d’une apparition (probablement l’épisode où il se montre à Marie-Madeleine sous les traits d’un jardinier). A droite, il est représenté à sa résurrection, sur le devant de son tombeau vert. Il porte sa tunique violette ouverte. Plus bas, un personnage à l’allure de moine lit un livre de couverture verte tout en tenant une pelle.

Les quatre lancettes centrales

Elles sont marquées par la symétrie de la double représentation de Marie, dans son vêtement bleu. Deux attitudes presque symétriques. Chacune de ces lancettes comporte une croix : de gauche à droite, le bon larron au moment de sa mort, avec l’ange recueillant son âme ; puis Jésus mort, le flanc transpercé par une lance ; vient ensuite le mauvais larron hissé sur sa croix ; enfin, la descente de croix de Jésus. Nous retrouvons des scènes classiques : à gauche, Marie est consolée par Jean et une femme en pleurs. Au pied de la croix de Jésus, Marie-Madeleine. Son visage rayonnant frappe (c’est sans doute le point le plus lumineux de la verrière). Trois soldats se partagent ou s’arrachent le vêtement de Jésus. Le bas de la lancette suivante est vide de personnages : un chien y est représenté, sur le pavement, aboyant. Il en veut manifestement au soldat, lui aussi à quatre pattes dans la lancette d’à côté, en train de trancher le vêtement de Jésus et dont le pied apparaît sous la gueule du chien. Ce rapprochement entre l’animal et le soldat est frappant. Dans la lancette de la descente de croix, Marie est toujours consolée par Jean et une autre femme en pleurs, mais contrairement à la scène symétrique, elle a ici le bras droit ballant.

Ainsi l’ensemble du vitrail comporte une double structure.

Une symétrie soutenue par les lancettes extérieures et les deux figurations de Marie. Cette structure s’appuie sur la composition du vitrail en six lancettes, ne comportant pas de lancette centrale, mais seulement un meneau central. L’autre structure vient de ce qui est représenté : la scène de la crucifixion domine sur trois lancettes. Et la luminosité de la lancette du milieu tend à tirer le centre du vitrail vers elle. De plus, la mémoire du spectateur le pousse à remettre au centre la scène de Jésus en croix. Si on essaie de voir ces deux organisations simultanément, nous ressentons un frottement entre elles qui laisse insatisfait. Deux représentations s’opposent dans notre approche : la symétrie structurelle et la symétrie culturelle (fondée sur notre savoir préalable).

En fait, la symétrie structurelle va nous permettre d’accéder à une autre dimension de la signification de ce vitrail. Si nous considérons la partie supérieure des quatre lancettes centrales, nous avons, à gauche, deux personnages accrochés au sommet de leur croix, le bon larron et Jésus. A droite, les deux personnages, le mauvais larron et Jésus, sont dans une position intermédiaire, le premier dans un mouvement ascendant, le second dans un mouvement descendant. De plus, le dessin de leur corps est beaucoup plus flou que ceelui des deux personnages des lancettes de gauche ; ils sont comme abîmés, effacés. Jésus plus encore que le mauvais larron. En notant de plus que le mauvais larron est tourné vers la droite, et non vers la scène de crucifixion, nous en arrivons à l’hypothèse que les deux lancettes de droite forment un ensemble sui s’oppose aux deux autres. Il se joue là autre chose.

Le mauvais larron a une attitude singulière

Un diable violet nous permet de confirmer son identification comme le mauvais larron. Mais il ne présente pas les attributs d’un mauvais personnage : il a les mains liés dans une attitude de résignation, et chose étonnante, il tient un crucifix jaune. En dépassant l’aspect chronologique de la représentation, nous décelons là la figuration classique d’un supplicié. Son regard est dirigé vers le cadavre de Jésus descendu de croix. L’un monte à sa mort, l’autre en descend. Le supplicié a sous les yeux un corps sans vie, ce qu’il sera dans quelques instants. Aperçoit-il une lancette, plus loin le corps de Jésus ressuscité ? Ou la vue du cadavre de Jésus l’empêche-t-il de discerner autre chose ?

En reprenant la mise en perspective des lancettes de gauche et de celles de droite, nous avons sous les yeux deux traitements de crucifixion. A gauche, il s’agit de monter les croix par le corps mort de ceux qui y sont fixés. Nous sommes dans l’ordre du voir, du spectacle : les crucifiés ont les yeux fermés et les spectateurs ont les yeux grands ouverts, comme nous aujourd’hui. La scène est statique, figée dans l’image. A droite, le regard du larron (faut-il l’appeler encore mauvais) se pose sur la dépouille de Jésus. Que peut-il voir de ce corps à demi effacé ? Ils sont dans une position intermédiaire l’un et l’autre. La question de la mort se pose à celui dont la vie va s’éteindre : un arrêt sur image du drame de celui qui va mourir, face à la représentation de sa propre mort. Comme un dernier regard à celui qui le précède dans l’inconnu. Quelle grandeur dans cette figure du mauvais larron qui porte sur lui la trace de l’angoisse au seuil de l’inévitable !

Et le chien… en bas qui continue d’aboyer…