Le retable de sainte Anne à Commana

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Le patrimoine religieux de Bretagne, lecture sémiotique de l’œuvre

Bref exposé des principes qui ont inspiré la lecture de cette œuvre, Claude Chapalain.

Pour lire cette œuvre, j’ai emprunté les principes de lecture utilisés au CADIR de Lyon, unité de recherche qui s’inspire des travaux d’A.J. Greimas et de ses successeurs de l’école de Paris.

Il s’agit pour nous de lire, c’est-à-dire de délier et de relier à nouveau l’œuvre que nous regardons sans pour autant délirer, faisant abstraction dans un premier temps de tout contexte historique, nous regardons l’œuvre pour ce qu’elle est : une œuvre unique.

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C’est ainsi que se construit un sujet actif et non assujetti au sens imposé. L’évidence première, désignative, produit un sens figé, s’inscrit dans une perspective de surface. Il s’agit ici de donner à voir selon une quatrième dimension, en profondeur, pour un partage d’évidences construites ensemble.

Notre première approche de l’œuvre est de chercher comment elle organise son espace. Il nous a fallu un long temps d’observation pour y répondre, d’autant plus qu’ici, nous avons affaire à une œuvre très complexe où les éléments figuratifs foisonnent selon un ordre qui n’est pas évident au premier regard. Ces éléments figuratifs se croisent et s’entrecroisent, se transforment aussi. Les anges sont de bons indicateurs dans notre parcours. Cette première étape permet de repérer le schéma architectural sous-jacent de l’œuvre, ce que l’on pourrait appeler aussi sa grammaire particulière.

A patir de cette disposition des éléments sommairement repérés, nous cherchons à voir comment ils s’organisent ; nous cherchons à comprendre, à travers leurs relations – relations de similitude, de convergence, de transformation, d’opposition, de complémentarité – quels thèmes se dégagent.

Le « jeu » de ces différents parcours nous permet d’accéder à la cohérence générale de l’œuvre par la mise en évidence des éléments-clés au nœud des articulations.

Nous avons constaté ainsi comment les anges sont souvent situés au nœud de ces articulations. Nous avons vu aussi comment le décors en est affecté, en particulier le rapport entre les fleurs, les fruits et les flammèches.

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Nous entrons alors dans la phase d’interprétation. Le « nous » concerne ici autant le lecteur que « l’écriveur ». L’interprétation est liée aux représentations théologiques ou anthropologiques, historiques et mythiques, du lecteur. Elle engage la subjectivité. Elle exige cependant pour être honnête et fructueuse, une cohérence avec le travail d’analyse. Mais l’interprétation n’est jamais unique.

S’il est exact que le plus vrai est ce qui a la portée significative la plus forte, alors ce sera celle que l’ensemble des lecteurs s’accordera à lui donner – en partageant un risque.

Pour nous encourager, nous pouvons relire ce que disait Grégoire Le Grand, commentant le livre d’Ezéchiel : « La tâche que nous abordons est fort obscure, mais rappelons-nous que nous sommes en route pour un voyage de nuit, il ne nous reste qu’à avancer à tâtons. » Mais il dit aussi « L’œuvre grandit avec celui qui la lit. »

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Nous avons proposé un chemin d’interprétation parmi d’autres. Comme l’écrit Valéry dans Variété : « Peut-être serait-il intéressant de faire une fois une œuvre qui montrerait à chacun de ses nœuds la diversité s’y peut présenter à l’esprit et parmi laquelle il choisit la suite unique qui sera donnée dans le texte. Ce serait là substituer à l’illusion d’une détermination unique et imitatrice du réel celle du « possible-à-chaque-instant » qui me semble la plus véritable. »

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Face à une œuvre d’art, ce « possible-à-chaque-instant » est aussi le travail d’interprétation au cours duquel s’établit une figure de l’accomplissement de l’œuvre en celui qui la lit. C’est bien cette capacité de traverser les siècles pour continuer ici et maintenant un sujet lecteur qui fait de l’œuvre d’art une œuvre vivante.

Rester muets d’admiration dans un premier temps et puis entrer ensemble dans l’analyse et l’interprétation de l’œuvre pour la contempler à nouveau, enrichis de ce parcours, voilà le propos de ce travail de lecture. Et l’interprétation reste in-finie. Seul l’âne de la fable parle net parce qu’il se soumet à l’évidence apparente des propos du roi lion. La lecture fabuleuse ouvre des chemins nécessairement obliques et des errances calculées.