Le retable de Goulven

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Marie offre son Fils au monde

Le retable que nous allons découvrir se situe à droite en entrant dans l’église paroissiale de Goulven (Finistère). Il a été réalisé en 1505.

Vue d’ensemble

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1 – Annonciation 2 – Visitation 3 – Nativité 4 – Annonce aux bergers 5 – Adoration des mages 6 – Présentation au Temple 7 – Crucifixion

L’ordre de numérotation suit la chronologie des événements rapportés. Mais la disposition des scènes suggère un ordre différent.

En haut, les deux visitations : celle à Elisabeth et celle aux bergers. On y parle d’un enfant.

Dans les scènes 1 et 3, L’enfant est au plus près de sa mère : en son sein ou en train de naître.

Dans les scènes 5 et 6, il est donné à voir aux nations (avec les mages) et à son peuple de naissance (au Temple). Au centre, dans la Crucifixion, en sa plus grande visibilité, Jésus est offert à tous en sa vie donnée.

Marie est présente dans presque toutes les scènes. Elle y est reconnaissable à son manteau bleu qui est comme le reflet sur terre du bleu céleste.

 

L’Annonciation

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En haut, le ciel est habité du Père couronné d’une tiare majestueuse. Il tient une boule d’or surmontée d’une croix. De la droite, il désigne une autre sphère d’or qui surmonte un baldaquin que deux autres personnages font descendre doucement au-dessus de Marie. Dans le même geste, ils entrouvrent le voile, sur le point de couvrir la jeune fille.

En bas, l’ange a la même attitude que le Père : dans sa main gauche, un sceptre qui rejoint l’espace céleste. De sa droite, il désigne l’auréole dorée de Marie. Il porte une croix accrochée au bandeau qui retient sa chevelure.

Le livre est ouvert sur le pupitre. Une écriture est visible sans être lisible.

Marie se détourne pour tendre l’oreille. Elle ne semble rien voir. Son manteau s’étale jusqu’aux pieds de l’ange.

Un lys est dans un vase. Il fait limite entre Marie et l’ange, entre le premier plan et l’espace d’ombre sous le baldaquin.

L’Esprit-Saint de la tradition n’est pas représenté. Qu’est-ce qui en tient lieu ?

« La puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre. » Puissance, c’est-à-dire dynamisme, énergie vitale, est un des noms de l’Esprit.

Qu’est-ce qui peut franchir les limites de nos corps ? Nos paroles échangées. Qu’est-ce qui peut relier l’ici-bas et l’en-haut ? L’Esprit qui est le principe actif de la Parole, qui permet qu’elle ne reviennent pas au Père sans qu’elle ait donné son fruit.

Luc 2
26 Au sixième mois, l’ange Gabriel fut envoyé par Dieu dans une ville de Galilée, appelée Nazareth, 27 auprès d’une vierge fiancée à un homme de la maison de David, nommé Joseph. Le nom de la vierge était Marie. 28 L’ange entra chez elle, et dit : Je te salue, toi à qui une grâce a été faite; le Seigneur est avec toi. 29 Troublée par cette parole, Marie se demandait ce que pouvait signifier une telle salutation. 30 L’ange lui dit : Ne crains point, Marie; car tu as trouvé grâce devant Dieu. 31 Et voici, tu deviendras enceinte, et tu enfanteras un fils, et tu lui donneras le nom de Jésus. 32 Il sera grand et sera appelé Fils du Très-Haut, et le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David, son père. 33 Il règnera sur la maison de Jacob éternellement, et son règne n’aura point de fin. 34 Marie dit à l’ange : Comment cela se fera-t-il, puisque je ne connais point d’homme ? 35 L’ange lui répondit : Le Saint-Esprit viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre. C’est pourquoi le saint enfant qui naîtra de toi sera appelé Fils de Dieu. 36 Voici, Élisabeth, ta parente, a conçu, elle aussi, un fils en sa vieillesse, et celle qui était appelée stérile est dans son sixième mois. 37 Car rien n’est impossible à Dieu. 38 Marie dit : Je suis la servante du Seigneur; qu’il me soit fait selon ta parole ! Et l’ange la quitta.

Marie n’est pas surprise par l’arrivée de l’ange Gabriel. Mais, elle est troublée par son étrange salut. Elle serait la favorisée du Seigneur ? Pourquoi elle ? Elle n’est qu’une jeune fille inconnue d’un coin perdu de Galilée, dont la vie est toute tracée : épouser le bon Joseph, fonder une famille, transmettre la tradition juive aux enfants. Il y a peut-être erreur sur la personne. L’ange s’est sûrement trompé d’adresse. Il vient de si loin… Même dans les livres qu’on lit à la synagogue, il n’est jamais question de Nazareth. Et pourtant…

Marie ne se doute de rien. Elle regarde le lys blanc pendant que l’ange Gabriel lui parle. Elle ne peut imaginer ce que nous voyons au-dessus d’elle.

Les ailes de Gabriel sont impressionnantes. Son sceptre royal s’élève jusque dans l’espace supérieur.

Marie est interrompue dans sa lecture des Écritures. Elle se retourne vers le lys blanc qui est apparu juste à côté d’elle. Il arrive que ce qui est écrit devienne réalité. Il suffit simplement de se retourner et de regarder. L’ange porte une croix d’or accrochée au bandeau qui retient sa chevelure ondulante. Il ne regarde pas Marie, mais le livre à la page ouverte.

Sa parole semble dire : aujourd’hui l’écriture que tu lis s’accomplit en toi. Le livre serait-il ouvert sur l’oracle du prophète : « Voici que la jeune fille concevra et enfantera. » ?

Là-haut, dans le ciel, il nous est montré ce qu’on ne peut voir avec des yeux de chair. Deux personnages, peut-être un homme et une femme, ont chacun une main posée sur le dais de tissu rouge. De l’autre, ils écartent les rideaux qui voilent une ombre que le regard ne peut percer. Certes, le baldaquin est réservé à ceux et celles qui sont sur un trône. Marie ne peut se douter à ce moment qu’elle sera appelée reine des cieux.

Mais aussi, peut-être, nous est-il montré là ce qui va s’accomplir sur elle. L’Esprit-Saint, figuré par la sphère d’or couronnant le dais, est prêt à la couvrir de son ombre. Dès que le oui de Marie sortira de ses lèvres, le baldaquin céleste descendra doucement sur elle et la prendra dans son ombre mystérieuse, celle qui enveloppe toute conception.

La rencontre entre la jeune fille et le messager du Seigneur a lieu sous le regard du roi des cieux guidant l’inimaginable événement. Le globe terrestre sur lequel est plantée la croix du Christ annonce depuis l’origine le projet du Père d’inscrire sa Parole dans la chair.

 

La Visitation

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La scène se passe dehors, devant une maison. A gauche, Marie est toute d’azur vêtue. Le nœud de sa ceinture forme une étoile dorée. Elle porte ses longs cheveux ondulant sous son manteau.

Vers où porte son regard ?

Elle est venue à la rencontre de sa cousine Elisabeth. Celle-ci pose délicatement la main sur le ventre de Marie. Leurs mains se frôlent.

Elisabeth est toute attention à sa cousine. Elle porte un voile qui cache sa chevelure. Sa robe est rouge, son manteau est d’un bleu plus sombre que celui de Marie : c’est qu’elle n’est plus toute jeune, Elisabeth !

Une troisième femme assiste à la rencontre. Le récit évangélique n’en fait pas mention. Que figure-t-elle ici ? En effet, elle intrigue avec son tablier replié. Elle porte un chapeau qui laisse voir ses longs cheveux tombant sur ses épaules.

Elle semble revenir d’une cueillette. Qu’a-t-elle recueilli dans son tablier retroussé en sa main droite ? Le panier qu’elle porte est-il vide ?

La présence de cette troisième femme là où on a l’habitude de voir Zacharie, le mari d’Elisabeth, attire l’attention. Elle est le témoin de la rencontre, d’une rencontre entre femmes qui portent en elles des semences qui croissent dans le secret de leurs entrailles.

Luc 1
39 Dans ce même temps, Marie se leva pour aller vers une région de montagnes, elle se hâta vers une ville de Juda. 40 Elle entra dans la maison de Zacharie, et salua Élisabeth. 41 Et il se passa ceci : quand Élisabeth entendit la salutation de Marie, l’enfant bondit dans son ventre, et elle fut remplie de l’Esprit Saint. 42 Elisabeth poussa un grand cri :
Bénie es-tu parmi les femmes ! Béni le fruit de ton ventre ! 43 D’où m’est-il donné que la mère de mon Seigneur vienne à moi ? 44 Car lorsque la voix de ta salutation est venue à mes oreilles, le bébé a bondi d’allégresse dans mon ventre. 45 Bienheureuse celle qui a cru que se réaliseraient les choses qui lui ont été dites de la part du Seigneur.

Après la visite de l’ange, Marie ne s’attarde pas chez elle à Nazareth, en Galilée. Elle se hâte à travers les montagnes de Judée vers la maison de Zacharie. Dans cette demeure vénérable, elle va rendre visite à une femme, Elisabeth, à qui il arrive aussi une chose étonnante.

Elle n’y croyait plus, Elisabeth : bien trop âgée pour avoir un enfant. Et pourtant, voilà que s’annonce en elle un bébé. La honte d’être stérile est effacée : elle est capable d’être mère. Ce qu’elle ne sait pas encore, c’est qu’en son sein arrive un enfant pas tout à fait comme les autres.

Elle ne s’y attendait pas, Marie. Le mariage était pour plus tard. Et pourtant, quelque chose était arrivé en son sein à la suite d’une étrange rencontre avec un messager de Dieu. A qui en parler ? La femme de Zacharie, héritière de toutes celles qui, en Israël, ont vécu en elles des engendrements inespérés, pourrait peut-être l’éclairer et la rassurer.

Comme l’ange avait salué Marie, Marie salue Elisabeth. L’ange avait annoncé à Marie que l’Esprit Saint la couvrirait de son ombre. Ici, Elisabeth est remplie de l’Esprit Saint.

Elisabeth a tout compris dans le frémissement de son propre enfant en elle. Le bébé a entendu la voix de Marie la saluer et il a bondi de joie. Cela suffit à Elisabeth pour entendre à son tour ce que l’ange avait dit à Marie et comment Marie avait fait confiance.

Le saviez-vous ? Il arrive à des mères d’entendre des choses inouïes simplement en écoutant les bonds de leur enfant en elles. Car la Parole habite déjà ces petits êtres, avant même que nous puissions voir leur visage et entendre leurs premiers cris.

Qu’elle paraît jeune, Marie ! Ses cheveux bruns ondulent en tombant dans son manteau. Elle ne regarde pas Elisabeth. Son regard porte plus loin : peut-être vers la servante, ou plus loin encore. Son visage est ouvert. Mais elle ne répond pas au regard plein de tendresse d’Elisabeth. Entre elles, cela passe à ce moment précis par le frôlement des mains.

Elisabeth contemple la jeune mère. Elle voit en elle le mystère d’un corps où un éclat de la Parole divine est venu se déposer. Marie ne peut pas encore tout comprendre. Cela la dépasse, mais elle n’est pas effrayée. Elle se laisse saisir par le mystère.

« Je suis la servante du Seigneur. » avait-elle dit à l’ange.
« Le Seigneur a porté son regard sur l’humilité de sa servante. » va-t-elle bientôt proclamer.

La servante a cueilli les fruits. Son panier n’y a pas suffi. Elle a dû faire de son vêtement un couffin pour recueillir le dernier fruit et le serrer contre son ventre.

L’enfant qui s’annonce est ce fruit cueilli à l’arbre d’Israël. Le panier des Écritures ne peut le recevoir. Il y faut un corps de femme, car ce fruit va vers son accomplissement. En se détachant de l’arbre, une nouvelle vie commence pour lui.

Et si au lieu de se protéger en un geste pudique, Marie, en ce moment de bénédiction, entrouvrait pour nous le voile du mystère qui est venu s’inscrire en elle ? Elisabeth en désigne la matrice d’une main délicate.

Enfin, pour ceux qu’un signe de femme ne convainc pas, l’étoile brille au-dessus du berceau de chair de l’enfant en attendant que le temps de sa naissance soit accompli.