Le retable de Goulven

retour p. 2 p. 3/

 

La présentation de Jésus au Temple

L’enfant Jésus est présenté par une petite fille (Marie ?) portant l’auréole à un homme religieux au-dessus d’un meuble. Une femme tient un cierge allumé et un panier où se devinent deux colombes recroquevillées.

Derrière au centre, un homme (Joseph ?) donne un coup de chapeau au religieux. Au fond trois femmes et un homme. Deux femmes portent un voile. L’homme est couvert. Plusieurs points étonnent : Marie apparaît ici en petite fille (une manière de dire sa virginité ?).

L’enfant n’a pas d’auréole. La scène est centrée sur Joseph, les autres personnages dessinant un cercle autour de lui. L’enfant passe des mains de la petite Marie au religieux au-dessus d’un meuble bizarre pour un temple.

La cérémonie, si c’en est une, semble se dérouler en famille. Peut-être que l’homme et la femme en arrière-plan à droite sont Zacharie et Elisabeth, cousins de Marie. Mais alors qui sont les deux femmes au fond à gauche ?

Celle qui est vêtue de bleu et voilée pourrait être une autre représentation de Marie.

La référence biblique (page ci-contre) suggère que le religieux serait Siméon annonçant à ses parents que l’enfant sera une lumière pour les nations (comme le cierge allumé en témoigne). A moins qu’il ne désigne simplement un prêtre anonyme du Temple : dans ce cas, Marie confierait l’enfant à l’institution religieuse, l’intégrant ainsi au peuple de la première alliance.

Luc 2
22 Et, quand les jours de leur purification furent accomplis, selon la loi de Moïse, Joseph et Marie le portèrent à Jérusalem, pour le présenter au Seigneur, 23 suivant ce qui est écrit dans la loi du Seigneur : Tout mâle premier-né sera consacré au Seigneur, 24 et pour offrir en sacrifice deux tourterelles ou deux jeunes pigeons, comme cela est prescrit dans la loi du Seigneur. 25 Et voici, il y avait à Jérusalem un homme appelé Siméon. Cet homme était juste et pieux, il attendait la consolation d’Israël, et l’Esprit-Saint était sur lui. 26 Il avait été divinement averti par le Saint-Esprit qu’il ne mourrait point avant d’avoir vu le Christ du Seigneur. 27 Il vint au temple, poussé par l’Esprit. Et, comme les parents apportaient le petit enfant Jésus pour accomplir à son égard ce qu’ordonnait la loi, 28 il le reçut dans ses bras, bénit Dieu, et dit : 29 Maintenant, Seigneur, tu laisses ton serviteur S’en aller en paix, selon ta parole. 30 Car mes yeux ont vu ton salut, 31 Salut que tu as préparé devant tous les peuples, 32 Lumière pour éclairer les nations, Et gloire d’Israël, ton peuple.

Le tableau de la présentation au Temple peut se lire à beaucoup de niveaux.

Joseph est au centre d’un cercle. Ici, il préside alors qu’il était resté humblement en retrait jusqu’à maintenant. Il bénit la séparation entre l’enfant et la mère. Il permet que soit honorée la loi du Seigneur : Tout mâle premier-né sera consacré au Seigneur. Le premier-né n’est pas réellement mis à mort : le sacrifice de deux colombes en tient lieu.

Mais pour Jésus, il y aura mise à mort : le Fils unique sera totalement consacré en sa vie offerte. L’enfant passe ici des bras de sa mère à ceux de Siméon au-dessus d’un coffre faisant penser à un cercueil.

Mais nous pouvons discerner dans cette scène d’autres lignes : la lignée des hommes et celle des femmes.

D’un chapeau à l’autre… L’homme à l’arrière-plan est couvert de son chapeau melon et sans barbe ; Joseph se découvre mais acquiert au passage une barbe naissante. Siméon conjoint ces deux attributs sur lui : il porte collier et mitre, signe de maturité et de dignité.

Il nous faut en effet quitter les signes de reconnaissance sociale, couronnes et lauriers souvent piteux pour nous laisser coiffer du Saint-Esprit comme Siméon dont il nous est dit que l’Esprit-Saint était sur lui.

La lignée des femmes va de la femme âgée à l’arrière-plan à Marie petite fille et même jusqu’à l’enfant. Quatre générations se suivent : de la grand-mère à la femme mûre portant la lumière et les tourterelles blotties en son panier, puis à la petite fille qu’est devenue ici Marie dont la gloire rayonne en son auréole, jusqu’à l’enfant offert comme salut aux humains à travers Israël. C’est une ligne de vie qui se déploie ici à travers les différents âges de l’existence.

Les deux lignées se conjoignent dans cet accueil imprévu de Jésus présenté au Temple par le juste Siméon : Car mes yeux ont vu ton salut. Il a le visage tourné vers Marie et les yeux fixés sur l’enfant qu’il reçoit dans sa main droite. Par son autre main qui désigne le cierge allumé il proclame : Lumière pour éclairer les nations.

En haut à gauche se profile la figure de Marie qui sera au pied de la croix.

Et un autre personnage au manteau vert reste légèrement en retrait tout en dominant ses voisins : peut-être l’ange de l’Annonciation ou un de ses semblables, discrètement attentif au devenir inouï de cet enfant né du ciel et de la terre.

 

La crucifixion

Jésus est représenté mort sur la croix. Son côté a été percé par la lance d’un soldat. Sur sa tête est enfoncée la couronne d’épines. Son auréole luit juste sous la pancarte énonçant en abrégé Jésus de Nazareth, roi des Juifs (INRI). Ses bras sont complètement étendus sur la traverse de la croix qui barre la scène.

Au pied de la croix, les bras serrés sur le bois du supplice, une femme, – une Marie-Madeleine ? –, à genoux, étreint et retient celui que la mort emporte. Elle est comme une mère qui serre de tout son amour, à travers la poutre dressée, le corps de son fils sans vie. Au point que le bois plie légèrement sous la pression de ses mains.

A gauche, une représentation de Marie, la tête couverte d’un voile, vêtue comme Elisabeth à la Visitation, les mains jointes. Elle regarde le sol devant elle. A droite, Jean a une main posée sur la poitrine. De l’autre, il retient son manteau tout en frôlant par l’arrière la nuque de la Madeleine. Il a les yeux fermés.

Au-dessus, deux condamnés sont encordés à deux petites croix. A gauche, le premier larron a les yeux fermés comme s’il dormait entre terre et ciel. A droite le second larron est plus torturé. Il a les yeux ouverts ; il nous regarde la tête inclinée. La traverse de sa croix rejoint la colonne torsadée délimitant la scène.

Jean 19
17 Jésus, portant sa croix, sortit vers le lieu du crâne, qui se nomme en hébreu Golgotha. 18 C’est là qu’il fut crucifié, et deux autres avec lui, un de chaque côté, et Jésus au milieu. 19 Pilate fit une inscription, qu’il plaça sur la croix. Il était écrit : Jésus le Nazaréen, le roi des Juifs. 20 Beaucoup de Juifs lurent cette inscription, parce que le lieu où Jésus fut crucifié était proche de la ville : elle était en hébreu, en latin et en grec. 21 Les grands-prêtres des Juifs dirent à Pilate : N’écris pas : Le roi des Juifs. Mais écris qu’il a dit : Je suis roi des Juifs. 22 Pilate répondit : Ce que j’ai écrit, je l’ai écrit. […] 25 Près de la croix de Jésus se tenaient sa mère et la soeur de sa mère, Marie, femme de Clopas, et Marie de Magdala. 26 Jésus, voyant sa mère, et auprès d’elle le disciple qu’il aimait, dit à sa mère : Femme, voilà ton fils. 27 Puis il dit au disciple : Voilà ta mère. Et à partir de cette heure, le disciple la prit chez lui. 28 Après cela, Jésus, sachant que tout était déjà accompli, dit afin que l’Écriture fût accomplie : J’ai soif. 29 Il y avait là un vase plein de vinaigre. Les soldats en remplirent une éponge, et, l’ayant fixée à une branche d’hysope, ils l’approchèrent de sa bouche. 30 Quand Jésus eut pris le vinaigre, il dit : Tout est accompli. Et, baissant la tête, il livra l’esprit.

La traverse de la croix sépare le monde d’en-haut de l’ici-bas. Le visage de Jésus fait le lien entre ces espaces : dans la partie supérieure, une simple inscription est visible, non pas sur une planche de bois, mais dans une banderole, habituellement utilisée pour faire entendre la voix qui vient du ciel. Oui, les autorités juives ont mis à mort leur véritable roi, non au sens commun de chef d’une nation, mais au sens de roi du Royaume de Dieu.

La couronne d’épines est ici de feuillage tressé. Aucune trace de sang sur le visage du supplicié qui apparaît comme endormi. L’auréole de sainteté lui sert de repose-tête. Jésus vient de livrer son Esprit au monde.

En dessous, Saint Jean médite en son cœur l’étonnant testament que le fils de Marie lui a légué : Voilà ta mère. Marie et le disciple sont révélés l’un à l’autre comme mère et fils. A travers lui, tout disciple présent et à venir est révélé fils de la mère du Christ, et donc frère ou sœur du Fils unique. Voilà une filiation bien différente de celle de la chair. La nouvelle Eve qu’est la mère de Jésus est aussi la mère de tous les vivants.

Marie a entendu la parole de son fils : Femme, voilà ton fils. Elle n’est pas ici représentée défaillante, effondrée. Elle est dans une attitude de recueillement, les mains jointes sur sa poitrine. Elle est tournée vers le monde où la parole de l’heureuse nouvelle va se répandre comme le sang et l’eau qui coule du corps du crucifié percé par le glaive du soldat. Son visage est légèrement incliné du même côté que celui de son fils, tout là-haut.

La femme agenouillée au pied de la croix, en habit monastique, une Madeleine qui aurait l’âge d’être la mère de Jésus, s’accroche au bois comme pour le retenir. Au jardin de la résurrection, elle s’entendra dire par le ressuscité : Ne me retiens pas. Je vais vers mon Père. On ne perd que ce que l’on possède. Marie a entendu ; la Madeleine a encore du chemin à faire : la rencontre du ressuscité où elle entendra de sa bouche son vrai nom, Marie, fera d’elle le premier témoin du Vivant après sa mort.

Les deux autres crucifiés avec Jésus, les deux larrons comme on les nomme, sont sous la protection de la grande croix. Nous serions tentés de chercher qui est le bon et qui est le mauvais, trop heureux d’instiller là notre connaissance du bien et du mal. Mais ce n’est pas ce qui est donné à voir. L’homme de gauche a l’air endormi comme Jésus. Il est déjà dans le paradis comme il le lui avait promis. Le second est attaché à la terre qu’il voit ici de haut, comme sa croix est reliée à la colonne délimitant le panneau de bois, la tête penchée à l’opposé de celle de Jésus.

Nous voyons là deux hommes qui n’en représentent qu’un : tout humain est tourné d’un côté vers la terre d’où il est issu, de l’autre côté vers le divin où il est attendu. On croit savoir d’où l’on vient ; on pense ignorer où l’on va. De deux choses l’une, ou on s’agrippe à ce que l’on a, ou on fait confiance pour être mené à notre céleste patrie. Marie, qui n’a pas retenu celui qu’elle avait accueilli en son sein, nous montre le chemin en offrant son Fils au monde.

 

D’une scène à l’autre

Nous avons été attentifs à chaque tableau du retable, dans leur mise en scène propre. A un moment ou un autre, des échos ont pu s’entendre d’une scène l’autre. Pour continuer le parcours, et de ce fait, inviter à reprendre chaque scène avec l’enrichissement apporté par les autres, nous suggérons quelques liens entre elles en laissant au lecteur le soin des les interpréter pour lui. Le parcours des couronnes, des auréoles et des coiffures religieuses. Jésus sur la croix est triplement « coiffé : d’une couronne d’épines, d’une auréole et d’un écriteau. Couronnes, auréoles et coiffures religieuses sont des figures qui convergent au-dessus de la tête du crucifié, car il récapitule en lui tout ce qui y était voilé et cependant déjà indiqué. Il est roi véritable, grand-prêtre et saint.

De la même façon, on pourra remarquer que les tours (une à la Nativité, deux à l’adoration des mages) se retrouvent sous la forme des trois croix de la crucifixion, la petite tour devenant la plus grande.

Des anges parmi nous ?

Avez-vous remarqué comment trois personnages se ressemblent ? L’ange de l’Annonciation, le personnage au manteau vert en arrière-plan de la Présentation au Temple et Saint Jean à la crucifixion. Ils ont comme un air de famille…

Chacun pourra continuer la découverte des trésors cachés dans ce retable.

– Mais, me direz-vous, les artistes ont-ils pensé à tout cela quand ils ont réalisé cette œuvre ? – Pour certaines choses, oui, sûrement. Pour d’autres, peutêtre. Pour d’autres encore, sûrement pas. Mais tout artiste vous le dira : l’inspiration est ce qui échappe à la maîtrise. C’est ce qui vient se déposer à notre insu, résonance à travers nous de ce qui est plus large, plus universel, plus grand que nous.

 

 

Quelques indications pour une lecture figurative des œuvres (littéraires, picturales ou autres)

Une figure est un élément de la réalité bien connu, mais qui est traité, dans les œuvres d’art, d’une manière qui attire l’attention par une déformation, une insistance ou une présence inattendue. Ainsi, dans le retable de Goulven, on trouve la servante (Visitation et présentation au Temple), le coffre-cercueil (présentation au Temple), le chapeau (de Joseph ou de la servante de la Visitation, ou sous la forme renversée de la mangeoire de la Nativité). Elle peut être un personnage : Marie est surdimensionnée dans la Nativité et la visite des mages, réduite à une petite fille dans la Présentation au Temple. Un personnage peut être représenté plusieurs fois dans la même scène : une fois dans son apparence habituelle, une autre fois pour exprimer son intériorité, sa spiritualité ou tout autre réalité cachée (dans la Présentation au Temple, Marie est représentée en petite fille et en mère).

Une figure n’est pas là pour identifier quelqu’un ou quelque chose. C’est même le contraire : elle indique quelque chose d’autre que ce qu’on connaît bien. Elle est une esquisse visible d’une réalité invisible. Mais ce n’est pas tout à fait un symbole, comme le cierge qui symbolise la lumière. Ainsi le panier de la servante évoque ce qui est cueilli ou recueilli, mais n’est pas un symbole en soi.

Pour entendre une figure, le lecteur ou le spectateur doit faire appel à sa propre expérience. Une figure fait écho à ce quelque chose en lui qui est souvent oublié ou endormi. Etre attentif aux figures permet que la Parole écrite ou représentée fasse son œuvre de résurrection.

Photographies : Pierre Coquet – Bible et Lecture Bretagne 2008 – Claude Chapalain, Pierre Chamard-Bois

Télécharger en pdf